
Face à la complexité croissante des enjeux économiques, écologiques et sociaux, les leaders d’aujourd’hui ne sont plus simplement confrontés à des choix stratégiques classiques. Ils évoluent dans des environnements marqués par des dynamiques multiples, parfois antagonistes, où la logique binaire atteint rapidement ses limites. Le pilotage par dilemme — choisir entre deux options mutuellement exclusives — cède progressivement la place à une nouvelle forme d’intelligence du leadership : celle du paradoxe.
Là où le dilemme impose de trancher — performance ou impact, croissance ou sobriété, humain ou résultat, court terme ou long terme —, le paradoxe invite à tenir ensemble des forces en tension. Il ne s’agit plus de choisir, mais d’élargir sa capacité à intégrer, combiner, ajuster en continu. Il ne s’agit plus d’arbitrer, mais de composer.
Cette bascule du OU au ET n’est ni confortable, ni immédiate. Elle vient heurter des réflexes ancrés : la recherche de clarté, la volonté de maîtriser, la tentation de la solution unique. Elle exige un déplacement du regard. Il ne s’agit plus d’éliminer l’ambiguïté, mais de s’y installer de manière consciente. Non pas pour renoncer à agir, mais pour développer une forme d’action plus souple, plus lucide, plus ajustée à la complexité du réel.
Ce basculement demande une posture nouvelle. Il ne s’agit pas simplement de cocher des indicateurs ESG ou d’intégrer la RSE à un plan stratégique. Il s’agit de se reconnaître soi-même comme un système en tension, traversé par des envies d’engagement, des contraintes économiques, des responsabilités institutionnelles et des aspirations personnelles. Accepter cette complexité intérieure permet souvent de mieux lire, et donc mieux naviguer, la complexité extérieure.
Certains dirigeants font déjà ce pas. Ils ne cherchent plus à résoudre la contradiction à tout prix, mais à la faire vivre dans une dynamique féconde. Ils acceptent de ne pas tout concilier tout de suite, mais refusent de céder à la simplification. Ils tiennent ensemble ambition économique et impact sociétal. Résultats financiers et responsabilité environnementale. Lucidité stratégique et sincérité personnelle.
Ce type de leadership n’est pas une posture idéalisée, mais une compétence à cultiver. Une capacité à tenir l’instabilité sans basculer dans le cynisme ou l’épuisement. Une manière d’incarner, dans les faits, une transition encore largement à inventer.
À mesure que les repères traditionnels s’effritent, cette aptitude à vivre avec des paradoxes devient un avantage stratégique — mais surtout une nécessité humaine.
Pour aller plus loin sur ces sujets, rendez-vous sur le site de la Corporate Social Fabrik.
Un article rédigé par Romain Tisné.