
La transition écologique et sociale est devenue un impératif stratégique pour les entreprises. Elle transforme les marchés, recompose les chaînes de valeur, rebat les cartes du rapport au travail et redéfinit les attentes des parties prenantes. Dans ce contexte, un nouveau type de leadership est appelé à émerger : celui du dirigeant ou de l’entrepreneur durable, capable d’allier impact, performance et responsabilité.
Mais à y regarder de plus près, cette figure du « Sustainable Business Leader » porte en elle une forme de contradiction structurelle. Elle exige de concilier ce qui, jusqu’à récemment, fonctionnait sur des logiques séparées, voire opposées : la recherche d’une croissance économique et la réduction de l’empreinte écologique, la poursuite de la rentabilité et la prise en compte du long terme, l’autorité stratégique et l’humilité systémique, la rigueur financière et l’ouverture à l’expérimentation.
Ces exigences, mises bout à bout, forment une équation difficilement solvable sans un travail en profondeur sur la posture elle-même du leader. Car au-delà des outils, des matrices ou des certifications, c’est bien une capacité à tenir les tensions — parfois inconfortables — qui fait la différence. Tenir la pression du court terme tout en défendant une vision. Composer avec des modèles économiques encore imparfaits. Rendre des comptes sans céder à la logique du compromis permanent. C’est une fonction d’équilibriste, mais aussi de traducteur entre mondes : celui de la finance et celui du vivant, celui des indicateurs et celui des valeurs, celui des résultats tangibles et celui de la transformation invisible.
Cette posture ne s’improvise pas. Elle suppose un niveau de clarté sur ses propres moteurs d’action, une lecture fine des systèmes dans lesquels on évolue, une capacité à naviguer dans l’incertitude avec discernement. Et surtout, elle exige de sortir d’une vision du leadership fondée sur le contrôle et la toute-puissance, pour entrer dans un rapport plus incarné, plus attentif, plus adaptatif — sans renoncer à l’ambition d’agir à grande échelle.
Nombre de dirigeants, aujourd’hui, vivent ces tensions de manière isolée ou silencieuse. Ils doivent arbitrer entre des injonctions contradictoires, tout en donnant le sentiment que tout est sous contrôle. Ils sentent que quelque chose est en train de basculer, mais peinent à trouver les espaces où ce questionnement peut être formulé sans jugement, sans posture, sans injonction supplémentaire.
Le développement durable ne peut pas être uniquement l’affaire d’experts ou de comités RSE. Il doit devenir une compétence stratégique du leadership. Et pour cela, il faut commencer par accepter l’inconfort de cette transformation, non comme un obstacle, mais comme un levier de lucidité et de réinvention.
Pour aller plus loin sur ces sujets, rendez-vous sur le site de la Corporate Social Fabrik.
Un article rédigé par Romain Tisné.